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Retour sur Conversations A/Venir : Sommes-nous en train de détruire la réalité ?

Retour sur Conversations A/Venir : Sommes-nous en train de détruire la réalité ?

Le 15 octobre 2025, le Collège de France a accueilli la 12ᵉ édition des Conversations A/Venir, organisées par l’ILB et la Fondation BNP.
Oct 20, 2025 12:37
Oct 20, 2025

Conversations A/Venir : comprendre la réalité à l’heure des IA et de la désinformation

Le 15 octobre 2025, le Collège de France a accueilli la 12ᵉ édition des Conversations A/Venir, organisée par l’Institut Louis Bachelier et la Fondation BNP Paribas.
Un débat aussi nécessaire qu’inquiétant : « Sommes-nous en train de détruire la réalité ? »

Chercheurs, philosophes et communicants se sont retrouvés pour explorer un constat de plus en plus partagé : la réalité vacille, bousculée par la désinformation, les réseaux sociaux et les intelligences artificielles.

« Notre métier, c’est la vérité scientifique »

En ouverture, André Lévy-Lang, président fondateur de l’Institut Louis Bachelier, a rappelé la mission première de l’Institut :

« Notre métier, c’est la vérité. La vérité scientifique. »

Il a rendu un hommage émouvant à Jean-Michel Beacco, disparu en septembre, saluant « un homme d’idées et de liens », qui avait su fédérer chercheurs, institutions et entreprises autour d’une ambition commune : mettre la recherche au service de la société.

Puis Isabelle Giordano, déléguée générale de la Fondation BNP Paribas, a pris la parole pour rappeler la vocation du cycle :

« Ces Conversations A/Venir nous permettent, année après année, de faire émerger de la pensée, de la réflexion et, je l’espère, de l’esprit critique. »

Gérald Bronner : « Nous vivons peut-être dans la même société, mais plus tout à fait dans le même monde »

Invité principal de cette édition, le sociologue Gérald Bronner, professeur à la Sorbonne et membre de l’Académie des technologies, a captivé le public dès les premières minutes.
Face à la question « Sommes-nous en train de détruire la réalité ? », il a reconnu une inquiétude « partagée par beaucoup d’entre nous ».

S’appuyant sur un rapport du Forum économique mondial, il a rappelé que la désinformation est désormais considérée comme le principal risque mondial à court terme, devant même les événements climatiques extrêmes.

« Aucun problème de l’humanité ne peut trouver une solution si nous n’avons pas un accord sur les faits et sur le réel. »

Et d’ajouter, avec une formule qui a marqué la salle :

« Le risque, c’est de continuer à vivre dans la même société… mais plus tout à fait dans le même monde. »

Le “marché cognitif” dérégulé

Bronner a ensuite décrit ce qu’il appelle le marché cognitif, bouleversé par la révolution numérique :

« Jamais dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu une telle disponibilité de l’information. »

Mais cette abondance s’accompagne d’une dérégulation massive :

« Tout le monde peut donner son avis. C’est une drôle de démocratie, parce que certains votent beaucoup plus souvent que les autres. »

Selon ses travaux, 1 % des comptes sur les réseaux sociaux produisent 33 % des contenus visibles, souvent les plus polarisés.

« Ces super-diffuseurs sont en général porteurs de radicalité. Plus on est extrême, plus on parle, plus on se voit. »

Résultat : des arguments extrêmes dominent le débat public, parfois sous la forme de ce qu’il nomme des “millefeuilles argumentatifs” — une accumulation d’arguments qui donnent l’illusion de solidité à des théories fragiles.

« Si vous débattez avec un complotiste, vous ne l’emporterez pas. Vous aurez moins d’arguments, car lui est motivé — ce que vous, vous n’êtes pas. »

Quand les intelligences artificielles brouillent encore la frontière du réel

Autre constat frappant : les intelligences artificielles redéfinissent notre rapport à la vérité.

« Les frontières entre la réalité et la production artificielle d’images ou de vidéos deviennent de plus en plus poreuses. »

Bronner évoque l’“astroturfing”, ces campagnes de manipulation d’opinion menées par de faux comptes :

« Derrière ces comptes, il y a désormais de moins en moins d’acteurs humains… et de plus en plus d’intelligences artificielles. »

Selon lui, ces manipulations participent à polariser les sociétés démocratiques, en “mettant de l’huile sur le feu” et en fragmentant la perception du réel.

Table ronde : réhabiliter la vérité dans le débat public

La conférence s’est prolongée par une table ronde animée par Guillaume Ledit (L’ADN), réunissant Monique Canto-Sperber, Élise Hermant et Axel Dauchez.

Monique Canto-Sperber, philosophe et directrice de recherche émérite au CNRS, a rappelé que le rapport au réel est désormais médiatisé par les technologies elles-mêmes :

« Nous ne regardons plus le réel, nous le reconstruisons. Les outils numériques ont changé notre manière de voir, d’interpréter et de croire. »

Élise Hermant, directrice de la communication de BNP Paribas, a apporté une perspective de praticienne :

« Les grands modèles de langage valorisent encore les sources officielles. À nous, collectivement, de faire en sorte que la vérité reste visible. »

Quant à Axel Dauchez, président de Make.org, il a proposé une lecture démocratique du phénomène :

« La disparition du socle commun remet en cause notre capacité à faire société. Mais le collectif peut renaître par l’action commune. »

Un appel à la vigilance et au discernement

En clôture, Gérald Bronner a rappelé que la démocratie repose sur un socle cognitif partagé :

« Si nous n’avons pas d’accord sur ce qu’est le réel, sur ce que sont les faits, nous ne pouvons pas convoquer l’intelligence collective dont nous avons besoin pour affronter les défis à venir. »

Entre philosophie, science et citoyenneté, cette 12ᵉ édition des Conversations A/Venir a rappelé l’urgence d’un effort commun : défendre la vérité comme condition de notre vivre-ensemble.

Keynote Gérald Bronner
Keynote Gérald Bronner
Keynote Gérald Bronner
Table Ronde : Guillaume Ledit, Axel Dauchez, Élise Hermant, Monique Canto-Sperber, Gérald Bronner
Table Ronde (D/G) : Guillaume Ledit, Axel Dauchez, Élise Hermant, Monique Canto-Sperber, Gérald Bronner
Table Ronde : Élise Hermant, Axel Dauchez
Table Ronde : Élise Hermant
Table Ronde : Monique Canto-Sperber
Table Ronde : Gérald Bronner
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